Bataille du livret A : troquer le logement social contre la relance… ou le cash !

Le 24 novembre 2010

Pour la répartition des 310 milliards d’euros de l'épargne populaire, l’État pourrait délester le logement social pour donner aux banques de quoi financer les PME… bien que ces dernières, espèrent surtout de l'argent frais !

Christine Lagarde a la main sur le levier d’une des plus grosses vannes de l’économie française. Bientôt, elle devra décider de la part des 310 milliards d’euros de l’épargne populaire (livret A, livret développement durable et livret d’épargne populaire) qui se déverseront dans les caisses de la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC) et de la part qui reviendra aux grandes banques qui ont gagné le droit de vendre ces produits depuis le 1er janvier 2009. Pour l’instant fixé à 70% pour la CDC et 30% pour les banques, ce taux doit être révisé, selon la loi de modernisation de l’économie, avant la fin 2011.

Derrière cet arbitrage, un choix politique : côté CDC, ces placements ultra populaires servent depuis leur création au financement du logement social, côté banques, ils sont injectés dans l’économie via des prêts finançant les entreprises. Or, au lendemain de la crise, les caisses vides, l’État aurait bien besoin d’un nouveau réservoir pour arroser une économie desséchée…

« Orienter l’épargne des Français vers l’industrie »

Rien de neuf dans la manœuvre : en 2008, déjà aux commandes à Bercy, Christine Lagarde avait largement tapé dans le pactole pour financer les prêts aux banques, financement des PME et autres mesures de relance : 30 milliards d’euros en tout avaient été prélevés en urgence pour faire face à la crise. Entre temps, la manne a grossi : depuis que le livret A peut être souscrit dans n’importe quelle banque, ce sont 20 milliards d’euros qui ont été ajoutés au pactole. Un résultat dont s’est félicitée la ministre de l’Économie lors des questions au gouvernement mercredi 17 novembre…

Or, Michel Bouvard, le député socialiste membre du conseil de surveillance de la CDC, demandait un peu plus qu’une autocongratulation : à l’approche de la révision du « taux de centralisation » (qui détermine le montant reversé à la CDC et celui laissé aux banques), il souhaitait savoir comment le gouvernement allait arbitrer entre le besoin de logement social et le financement de l’économie. La réponse de Christine Lagarde avait de quoi le laisser perplexe…

Mais une écoute attentive de l’interview du président de la République de la veille donnait déjà un indice d’une orientation possible : pour dynamiser l’économie, Nicolas Sarkozy a ainsi parlé, sans plus de détail, de dispositifs pour « orienter l’épargne des Français vers l’industrie ». Coïncidence : depuis maintenant plusieurs semaines, dans le cadre de la guerre d’interviews et de tribunes qui les oppose à Augustin de Romanet, patron de la CDC, les banques avancent précisément l’argument du financement des PME pour convaincre Bercy de leur laisser une plus grosse part du gâteau. En contrepartie de ce deal « encours du livret A contre relance des entreprises », les banques proposeraient, selon Les Échos, une baisse de leurs commissions de 0,6 à 0,5%. Un gros sacrifice, vu les sommes brassées… mais qui serait largement compensé par le cash ainsi capté par les banques.

Les nouvelles normes réveillent la soif d’argent frais

Car sur les 20 milliards d’euros versés en plus sur les livrets A des banques commerciales, seulement 2 milliards venaient de l’extérieur, le reste ayant été « transvasé » d’un autre compte vers ce placement défiscalisé avantageux. Autrement dit, l’opération n’a pas pesé lourd dans le bilan des banques. Pas assez lourd en tout cas au regard des nouvelles régulations internationales.

Siège de la Banque des règlements internationaux à Bâle.

Selon les futurs accords Bâle III, les banques devront avoir en caisse une proportion bien plus importante des sommes misées (ratio de solvabilité), pratiquement le double. Soit 150 milliards d’euros à trouver pour les banques françaises, selon la BNP. « Pour augmenter leur ratio de solvabilité, les banques doivent trouver du cash, résume Jean-Philippe Gasparotto, délégué CGT à la Caisse des Dépôts et Consignations. Or, il n’y a que deux façons de le faire : soit elles demandent à leurs actionnaires de baisser leurs profits, soit elles trouvent de nouvelles sources. De toute évidence, elles n’ont pas envie de se tourner vers leurs actionnaires. »

Et, entre la Caisse des Dépôts et les banques, les montagnes d’argent frais de l’épargne populaire apparaissent comme une solution rêvée… Or, si une part plus importante de la collecte venait à être « immobilisée » dans les bilans dorés à l’or fin des banques commerciales, un problème se poserait bien vite à l’État : en février dernier, la Cour des Comptes s’inquiétait de ce qu’à horizon 2013, l’épargne populaire ne couvre plus les besoins du logement social, recommandant même de « limiter les nouveaux emplois », c’est-à-dire les prêts hors de la mission historique du livret A…

« Cela fait plusieurs décennies que les besoins du logement social sont systématiquement supérieurs aux financements véritablement réalisés et qu’une partie des ressources du livret A est utilisée à d’autres missions ou à des placements financiers », répondait aux Échos Philippe Brassac, secrétaire général de la Fédération nationale du Crédit agricole. Plus préoccupés par la maintien des profits de leurs actionnaires et de leur solvabilité face aux nouvelles normes, les banques envisagent d’user de la dernière arme dont elles disposent si nécessaire : un recours européen pour « concurrence déloyale » contre les réseaux historiques. Le piège se refermerait alors sur le livret A, ravalé au rang de simple produit bancaire face aux juges de la concurrence libre et non faussée.

Photo FlickR CC Tim Paterson ; World Economic Forum ; Benoît Derrier ; Kaunokainnen.

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